... La vie paraît s’engouffrer à nouveau dans Metzler, sur l’autoroute, lorsqu’il pousse de longs cris de contentement penché par la fenêtre arrière de sa limousine, moumoute décollée, bouche grande ouverte et déformée par le vent mais, cependant, son passé reste toujours aussi muet. Il est alors décidé de s’en remettre à l’irrationnel. Metzler consulte un médium. Mais ce dernier tombe de sa chaise avant même de parvenir à faire tourner sa table. Une voyante, recommandée par madame Pompidou, finit, exténuée, par avouer : « C’est étrange mais je ne vois rien de vous, avant. Vous pouvez reprendre votre argent si vous le souhaitez. Je peux vous dire votre avenir mais rien ne me vient de votre passé. »
— Et alors, quel est mon avenir ?
— Avec votre ciel, vous n’avez qu’à rester assis dans votre fauteuil, c’est la vie qui viendra à vous. Ne cherchez pas à la questionner.
— Et si, malgré tout, il ne se passe rien ?
— Alors, il vous faudra peut-être changer de fauteuil.
Un soir, on fit même venir à la fondation, un magicien de renommée internationale. On le laissa faire ses numéros sans rien dire. Il y eut donc les foulards, les colombes, les mésanges, les lapins et les femmes rondelettes découpées en morceaux qui poussaient de petits « Hi-hi », dont on ne savait pas avec exactitude s’ils exprimaient le plaisir d’avoir peur ou la peur elle-même. Toujours est-il que le célèbre illusionniste n’avait pas encore sorti sa scie que les femmes frétillaient de plein de petits « Hi-hi » chatouilleux et chatoyants. Et puis, le magicien se laissa bander les yeux et chacun put lui poser toutes sortes de questions. « Suis-je en bonne santé ? », « Vais-je gagner beaucoup d’argent ? », « Où est passé mon premier amour disparu ? », « Suis-je bien le gros dindon cocu dont j’ai l’air ? », « Combien vais-je avoir de vies ? », Connaissez-vous l’histoire du con qui dit non?» … Jusqu’au moment où, à son tour, Metzler se leva.
« Cher maître, pouvez-vous, s’il vous plaît me parler de mon passé ? »
Le magicien souriait encore en écoutant la question mais son visage se ferma d’un trait, au moment d’y répondre. Comme sous une emprise maléfique, une petite voix inconnue, et atrocement aiguë, s’empara alors de tout son corps. Et l’assistance retint son souffle. « De quel passé voulez-vous parler ? De celui de l’artiste ou de celui de l’assassin ? » Et la salle réagit avec tant d’indignation que le magicien dut rapidement s’éclipser de l’estrade sur laquelle il faisait son numéro.






...

Si parfois madame Pompidou part en croisière autour des continents, c’est pour mieux se perdre dans le temps et partager ses souvenirs avec l’homme qu’elle a toujours aimé, sans pour autant déranger les autres avec tout ça.
Le rythme de la croisière est toujours le même. Il y a d’abord les rêveries emmitouflées dans un transat, lorsque le paquebot passe au large de la banquise et de ses grands ours polaires. Bien sûr, dans les souvenirs de madame Pompidou il y a des moments tristes, parfois des regrets, des doutes aussi mais, par dessus tout, il y a également de vrais moments de bonheur. Et dans les endroits où le soleil ne se couche plus, où le ciel froid paraît sans fin, madame Pompidou n’aime rien d’autre que de s’entretenir avec celui qui lui manque tant. Car, même s’il n’est plus là, elle sait qu’il peut l’écouter.
Avant même que les derniers icebergs s’éloignent dans le crépuscule boréal, madame Pompidou entend le long des passerelles, la voix de l’ancien président. Puis, lorsque l’Australie ou la Nouvelle-Zélande sont en vue, madame Pompidou ne tient plus compte de ce que l’équipage ou les autres passagers peuvent bien penser ; elle est là, avec la présence de son amour, et le reste n’a pas d’importance. Même les côtes de Chine ou d’Asie n’existent plus. Tout juste madame Pompidou est-elle sensible aux nuits chaudes d’Égypte et à l’ombre de leurs pyramides dans le lointain. Elle repense alors à la légende de ce guerrier isolé dans le désert depuis deux mille ans, afin d’attendre celle qu’il n’avait jamais cessé d’aimer. Seul, au milieu du sable et des pierres, du soleil et du vent, ce soldat, dit-on, ne voyait pas le temps passer. Il priait et méditait. Il marchait sans jamais laisser de traces, sentinelle dans cet espace immobile, nettoyant sa tente au cas où sa déesse aurait décidé de lui rendre une visite impromptue. « Vois-tu, Georges, j’aurais tant aimé que nous prenions le temps de vivre. S’il n’y avait pas eu toute cette politique, peut-être aurions-nous passé des moments de douceur entre les peintures et les sculptures que nous aimions tant. Si nous avions pu trouver un désert à nous pour nous soustraire au devoir, peut-être Picasso aurait-il fini par se laisser convaincre par ta proposition, et aurait-il installé son musée dans le Palais des papes d’Avignon, comme tu le souhaitais. Tout ce que j’ai fait après que tu sois parti, je l’ai fait avec réserve et discrétion. J’ai essayé autant que j’ai pu de préserver ton image ; je voudrais tellement que tu sois fière de moi… »


...

... Le Grand prix de la fondation se déroule souvent sous un ciel radieux. Il y a l’impression que certains gros nuages blancs reviennent chaque année s’allonger au-dessus du parc pour y assister en toute liberté parmi leurs semblables.
Les femmes rivalisent d’élégance et de langueur, leur longues jambes posées dans le gazon fraîchement coupé. Les enfants rient sans nervosité tandis que leurs pères conversent entre hommes avisés.
Au loin, le soleil se reflète sur les carrosseries de luxueuses voitures. Un quatuor de jazz distille des notes discrètes tandis que, sur une estrade, le jury, présidé cette année encore par madame Pompidou, débat, dans la plus grande courtoisie, sur les mérites de telle ou telle œuvre proposée par l’un des résidents.
Néanmoins, cette année, la première œuvre présentée, semble embarrasser le jury. Il s’agit du Brasier bleu de Tibor Taliakin, un résident géorgien au comportement particulièrement frustre. Ce Brasier bleu consiste a brûler vive la compagne de Taliakin, préalablement enfermée dans un casier à bouteilles.
Voulant se justifier quant à la violence de sa création, Taliakin croit utile d’ajouter qu’il souhaite brûler madame mais, si dans l’assistance, quelqu’un a une autre idée, il n’y a pas de problème, on peut s’arranger. « En fait », précise le jeune artiste tourmenté, « moi, je veux bien brûler n’importe quelle salope. Et un Noir, un Arabe ou un Juif peuvent tout aussi bien convenir. Je veux juste montrer à quel point les hommes frustres souffrent dans leur virilité exacerbée, vous comprenez ? à l’origine, le Créateur voulait faire de nous des porcs mais suite, à une mauvaise manipulation, il a fait de nous des hommes en grande souffrance. »
Suite à ces propos, Taliakin se retrouve à la fois exclu du Grand prix et de sa fondation. Mais le jury n’est pas pour autant au bout de ses peines car le deuxième projet présenté, Mes abeilles alcooliques, de Fernand de Gap, est également embarrassant. Bien que particulièrement originale, cette œuvre n’est pas sans risque. On ne peut pas prévoir avec exactitude comment se comportera la nuée d’abeilles ivrognes de Fernand de Gap quand elle viendra à zigzaguer à travers les arbres de la fondation.
Nombrila, le dispositif de Ténor de Brest est plus intrigant. Il s’agit d’une dizaine de miroirs sur pied disposés en cercle autour de l’artiste assis sur son tabouret… Et alors, et après ? Ténor monte sur son tabouret et explique son concept à l’aide d’un porte-voix.
« Autrefois, il y avait celui qui créait et celui qui le regardait. Aujourd’hui, grâce à mon invention, celui qui créé, peut en même temps se regarder créer, il n’a plus besoin de personne.» Madame Pompidou éternue plusieurs fois en levant les yeux au ciel.



...



... Les monuments aux morts, les chiens errants, les voitures garées, les fermes désertées… à ton volant, en regardant la route devant toi, tu as pensé que c’était toute cette région qui t’avait rendu comme ça, qui avait déteint sur toi, parce que quoi qu’il arrive, pour rien au monde, tu ne voulais avoir à retourner là, dans cet ennui, dans cette vie sous perfusion… Des bourgs, des villes et des villages, des fantômes, des zones sinistrées, des crimes économiques avec complicité républicaine… Les grands espaces abandonnés, les grandes industries… C’est un pays où il n’y avait pas beaucoup de femmes parce que les femmes avaient plus de chance de trouver l’amour ailleurs. Tu coupes entre plaines et vallées. Il y a parfois la traversée d’un bourg, le passage devant un magasin fermé, une boulangerie, un café, un tabac, des vitres barbouillées au blanc d’Espagne, des étalages vides, de vieilles affiches décolorées par la pluie annonçant la tournée d’un orchestre ou d’un cirque, une publicité pour une messagerie où l’on te promet la chaleur des corps. Il y a le clocher d’une église, le bâtiment rectangulaire et massif d’une mairie, et tout l’espace qui va avec, sans rien d’autre qu’un chien ou un scooter à l’arrêt, comme si les gens qui vivaient ici se cachaient parce qu’ils ne savaient pas encore que la guerre était finie. Mais après tout, peut-être qu’elle n’était pas finie cette guerre, qu’elle avait sa propre vie, comme une errance qui ne s’arrêterait que lorsque le temps lui-même l’aurait décidé. Et si on ne parlait jamais de ceux qui étaient partis, c’est précisément qu’ils étaient partis comme toi, sans rien laisser d’autre que du vide. Et ce vide permettait d’imaginer qu’il y avait dû y avoir ici un Pompéi rural et humide, toujours avec ce goût du débordement, de la crue, de la rivière qui sort de son lit, du bouillon froid et gris qui ne se couche jamais, du travail qui ne revient pas. C’est tout ce qu’indiquait ces hameaux de résidences secondaires dans le lointain, fermées pour l’hiver, aérées quelques jours au printemps, avant de s’ouvrir dans les grandes soirées d’été. Parfois, quand le ciel était parfaitement dégagé, au crépuscule, vous vous disiez avec François que vous pouviez encore entendre, dans l’arrière-saison, le souvenir des rires des vacanciers, celui des verres qui s’entrechoquaient au cours d’un repas rendu tardif par la chaleur de la journée… Le cristal ombragée d’une source… Et vous regardiez alors ces maisons fermées, en espérant qu’elles s’ouvriraient à nouveau un jour sur des vies lascives et sans contrainte.


...

... C’est un homme, et là, il n’est plus spécifiquement noir, qui déplore que la femme qu’il aime aille voir ailleurs sans trop le lui dire. Et combien même lui dirait-elle que ça ne changerait pas grand chose. La femme disparaît quelque part dans la pénombre, quand les plaines commencent à s’obscurcir…

My girl, my girl where will you go,
I’m going where the cold wind blows,
in the pines in the pines,
where the sun don’t ever shine…

L’homme qui chantait cela s’appelait Leadbelly, et plus personne ne sait aujourd’hui avec précision quelle fut sa vie. On sait seulement que la chanson ne quitte pas facilement les esprits quand elle y entre… Metzler, l’écraseur de vies… 10.000 Christ sont en toi désormais… Un train fantôme sur une plaine déserte… Églises, rosaires, sulpices, sépulcres, rosaces, chemins perdus, Routes des dames, Routes des gardes, odeur de guerre de « 14 » dans l’automne, 100 vierges noires, 1.000 crucifix, 10.000 églises, 100.000 Christ… Et toujours cette mélodie avec ces paroles que même la traduction de l’automate internet ne parvient pas à déshumaniser.

Votre propre personnel Jésus,
quelqu'un pour entendre vos prières,
quelqu'un qui se soucie.
Votre propre personnel Jésus,
quelqu'un pour entendre vos prières,
quelqu'un qui est là…





































Découvrez la playlist bo la fondation popa avec Yma Súmac

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